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Et le peuple malien dans tout ça ?

Bienvenu Kokou AGBAVON Bienvenu Kokou AGBAVON Suivre 3 Septembre 2020 · 11 minutes de Lecture.
Et le peuple malien dans tout ça ?
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Depuis le coup d’Etat au Mali, il semble être le premier oublié de toutes les tractations externes et internes qui nagent à contre courant pour essayer de rétablir un chef d’Etat déchu rejeté par son peuple, ou de proposer une transition éclair et un gouvernement civil. Il, c’est le peuple malien.


La pilule est passée. Presque sans douleurs et heurts. Juste une foule en liesse qui clame être délivrée de leur tortionnaire.

Peuple malien en liesse, après le coup d’état.

IBK sera le énième président malien à quitter le pouvoir de manière anti-constitutionnelle. Sa gouvernance s’évertuait-elle au stricte respect de cette constitution ? Pas sûr. Quand on sait que le mouvement du M5 (qui finalement aura raison de lui) a été provoqué par une décision de la cour constitutionnelle d’inverser les voies des dernières élections législatives dans certaines localités, en faveur du parti au pouvoir.

Retour rapide sur les différentes forces, les enjeux et sur les tractations en cours actuellement.

Rassurer les partenaires.

La junte a rencontré plusieurs délégations dont l’ambassadeur des États-Unis, celui de la Russie, le représentant de l’ONU au Mali, le nouveau commandant de la force française Barkhane, l’ambassadeur de France au Mali et une délégation du G5 Sahel (Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad en plus du Mali).

Le discours a surement été conciliant, assurant à tous ces partenaires une continuité dans leurs relations.

Dialogue partis politiques & société civile - junte militaire.

La junte a d’abord reçu, pour une prise de contact, une délégation de l’ancien parti au pouvoir, et les formations politiques proches de celle-ci, au ministère de la Défense.

Vint le tour de ceux qui ont initié ce renversement au sommet de l’état malien par des manifestations répétées depuis le mois de mars : le M5-RFP. Les représentants de ce mouvement d’opposition ont été formellement reçus par la junte militaire, à Kati, dans leur quartier général.

Après cette réunion de prise de contact qui « s’est bien passée », ils se sont dit « disposés à accompagner le processus de transition.

Modibo Koné, membre du comité stratégique du M5-RFP :

On a tenu un dialogue fraternel entre nous, on a tenu à dire au comité que très prochainement, il faudrait qu’il y ait une rencontre fraternelle pour aller à certaines décisions, parce que nous sommes les deux acteurs principaux du changement qui est intervenu au Mali.

Une deuxième rencontre devait avoir lieu. Mais une crise de confiance entre la junte et le M5-RFP, est né suite à la publication de l’Acte fondamental N° 1 du CNSP (dans cet Acte fondamental, les militaires disent que c’est le Chef du CNSP qui est désormais le Chef de l’État -article 32-).

Après l’annonce de boycott du M5-RFP et de plusieurs acteurs politiques et de la société civile, la CNSP a annoncé le report de la concertation sur la transition.

Ces deux acteurs majeurs du pays à l’heure actuelle, devront tout de même faire les concessions nécessaires pour s’entendre et conduire conjointement la transition, pour le bien du peuple malien.

Feuille de route de la transition : que propose la junte ?

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Au début leur intention était clairement affichée. Appuyer la révolution populaire, mettre fin à une gestion globalement catastrophique du pays et assurer la transition vers un gouvernement civil plus à même de répondre aux exigences de sécurité physique, alimentaire, économique, du peuple.

Depuis le défilé des concertations avec les autres forces vives du pays et de la sous région, le discours est un peu moins lisible. Mais dans le fond, le calendrier proposée par la junte est celui-ci :

  • Création du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) chargé de la transition, et la tenue de nouvelles élections présidentielle et législatives.
  • Une transition de deux (2) à trois (3) ans dirigée par un militaire qui sera le chef d’état provisoire ;
  • Un gouvernement majoritairement militaire également.

Le colonel-major Ismaël Wagué, porte-parole du CNSP :

La société civile et les mouvements sociaux politiques sont invités à nous rejoindre pour créer ensemble les meilleures conditions d’une transition politique civile menant à des élections générales crédibles pour l’exercice de la démocratie à travers une feuille de route qui jettera les bases d’un nouveau Mali.

Désaccord CEDEAO - CNSP (junte militaire).

La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a souhaité que la transition ne dure pas plus de douze mois et qu’un civil soit à la manœuvre.

Alors que les négociations avec la délégation de la CEDEAO ont débuté le 22 août, la junte a d’abord indiqué prévoir _“une transition de trois ans”, avant de proposer deux ans. Les médiateurs de la CEDEAO se sont dits prêts à accepter un gouvernement de transition au Mali pour une période d’un an maximum.

Les trois jours de discussions n’auront donc abouti à aucune décision sur l’organisation d’un gouvernement de transition. Les militaires au pouvoir à Bamako réclament également la levée des sanctions prises après le coup d’Etat.

Sanctions internationales

Beaucoup d’états, d’institutions ne se sont pas arrêtés à la simple ferme condamnation du renversement du président IBK.

  1. Les États-Unis ont suspendu tout soutien militaire au Mali.
  2. L’UE a suspendu toutes ses missions au Mali.
  3. La CEDEAO a suspendu le Mali de ses organes de décision.
  4. L’Organisation internationale de la francophonie a suspendu le Mali de ses instances.

La sanction de l’OIF, semble être la plus incompréhensive et la plus déplacée tant cette organisation n’est pas sensé faire cas de la politique interne des Etats membres. Cette sanction a d’ailleurs fait l’objet de railleries sur les réseaux sociaux, où les internautes maliens et de la sous-région l’avaient accueilli comme une bonne nouvelle.

La CEDEAO, a du mal à digérer.

La pilule a été amère, mais la CEDEAO a du l’avaler. Accepter le renversement d’IBK et discuter avec les nouveaux hommes forts du Mali pour préparer sa suite.

5 jours après le coup d’Etat, les émissaires de l’organisation sous-régionale sont venus présentés leur version du futur Mali à la junte au pouvoir. Aucun accord ne sera trouvé car : les maliens décideront seuls de la destinée de leur pays.

Retournez bredouille du Mali, la CEDEAO ne tardera pas à dégainer et maintenir des sanctions qui après les répercussions du coronavirus, risque d’étouffer l’économie malienne.

Sanctions de la CEDEAO

Embargo

Les frontières aériennes et terrestres sont également fermées entre le mali et les pays limitrophes faisant partie de la CEDEAO.

Théoriquement les vols depuis des zones extérieures à la CEDEAO, vers le Mali sont possibles. Mais c’est en vérité plus complexe car ses vols effectuent généralement des escales dans plusieurs pays voisins avant et après avoir joins la capitale malienne.

Sanctions financières

L’organisation sous-régionale avait annoncé rompre « les flux financiers et commerciaux » avec le Mali. Un moyen de pression, qui est déjà en vigueur à travers la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui a suspendu la plupart de ses activités.

Depuis plusieurs jours, les guichets de la Banque centrale des États d’Afrique de l’ouest à Bamako sont fermés. Plusieurs comptes du Trésor ne sont plus fonctionnels.

Concrètement, il devient plus difficile pour les « autorités » d’engager des dépenses pour payer les fonctionnaires et les diplomates. Difficile aussi d’engager des dépenses courantes, telle que le carburant. Impossible enfin, de commercer avec les autres pays de la sous-région.

Mais « ces mesures dissuasives sont disproportionnées » : « cela affecte plus les Maliens que la junte ».

Depuis, les sanctions économiques prises par la Cédéao ont été assouplies. Les transactions bancaires nationales sont désormais possibles. En revanche, toutes transactions internationales restent impossibles. Cet embargo économique a ou aura des conséquences sur le moyen et le long terme sur les citoyens maliens.

A long terme, la première conséquence ça va être que les ménages qui vont retirer le maximum de leurs comptes vont vouloir, dans un instinct de survie, commencer à stocker des biens et des services dont ils n’ont pas forcément besoin dans l’immédiat, Et cette demande de biens et de services sur le marché va avoir comme conséquence de créer une rareté de biens et de services, et en situation de rareté, le prix des produits augmente. Et si le prix augmente, cette augmentation générale va aboutir à l’inflation. Et la conséquence immédiate de cette inflation, ça va être la diminution du pouvoir d’achat des ménages et la baisse de production de ces entreprises qui ont, dans un premier temps, bénéficié de cette augmentation de l’achat de produits, de biens et de services.

Paralysie de l’économie malienne

Les opérateurs économiques souffrent de l’embargo, qui paralysent leurs activités.

C’est un pays en crise profonde depuis 2012. C’est un pays en guerre, qui fait face à des groupes armés, divers et variés, sur les deux tiers au moins de son vaste territoire. C’est un pays dont les forces armées ont perdu des centaines d’hommes ces dernières années.

Les effets de l’embargo commencent à se faire ressentir. Une situation qui inquiète les acteurs du monde économique. Ils craignent ainsi un ralentissement de leurs activités.

“Toutes nos marchandises qui sont dans les ports d’Abidjan, de Lomé, Cotonou ou Dakar sont bloquées actuellement en raison des sanctions économiques et financières contre le Mali. En tant que citoyen, nous trouvons cela inadmissible et nous dénonçons cet embargo injuste et illégal.”

Lles autorités maliennes ont décidé, à leur tour, de suspendre l’exportation du bétail vers les pays de la CEDEAO.

“Nous, nous avons le bétail, eux ils n’ont pas de bétail. Nous, on peut s’en servir entre nous ici, mais eux, ils n’en ont pas. Donc forcément, ils seront obligés de venir se ravitailler sur le marché malien. Je crois que ce ne sera pas quelque chose d’aussi durable que cela.”

Conséquences des sanctions de la CEDEAO

Gaoussou Coulibaly, président du marché rose, l’un des plus importants marchés de Bamako, appelle les commerçants à ne pas tomber dans la surenchère en cette période difficile pour le pays :

“C’est un devoir patriotique pour chacun de nous, d’agir maintenant pour éviter la surenchère dans nos marchés. Nous exhortons nos opérateurs économiques à faciliter l’importation de la nourriture, des médicaments ou encore des hydrocarbures, des produits de première nécessité, indispensables à notre bien-être.”

Analyse de l’économiste malien Cheickna Bounajim Cissé, sur les sanctions de la Cédéao :

“Compte tenu de la situation géographique du Mali et de la nature même de son économie très extravertie, tout blocus, en tout cas tout embargo, ne pourrait effectivement que toucher l’ensemble des secteurs socio-économiques du pays.”

Est ce là le role de la CEDEAO : Mettre à genoux le peuple malien qui déjà subit depuis plusieurs années une insécurité politique, physique et économique ?

Alors, à quand les élections ?

Normalement, en cas de vacances du pouvoir, des élections doivent être organisé dans les 40 jours qui suivent le constat de cette vacance du pouvoir par l’assemblé nationale.

Après le putsch de 2012, il a fallu près d’un an au Mali pour arriver à assurer la transition et organiser les élections.

Éviter de nouvelles erreurs

La CEDEAO insiste déjà clairement sur la priorité à donner au retour à l’ordre constitutionnel et à l’organisation rapide d’élections, donc à une transition qui soit la plus courte possible. C’est une voie qui serait au mieux improductive, au pire dangereuse.

Car dans un contexte post-putsch encore incertain et surtout de crise économique et politique au Mali l’organisation de ces élections peut s’avérer être un nouveau défi colossal.

PrayforMali

Ce qui est fait est fait. Maintenant, qu’est ce qui est le plus important ? Rétablir un gouvernement. Sauvegarder les intérêts des différents partenaires du Mali. Ou assurer au peuple malien, un gouvernement et des institutions à la hauteur de leur courage et de leurs ambitions. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.

Tout le monde a y gagner, vu la position stratégique qu’occupe ce pays dans la sous-région, et vu les ressources dont il dispose.

Bienvenu Kokou AGBAVON
Ecrit par Bienvenu Kokou AGBAVON Suivre
A Java Backend Programmer. IT Ingenior. Humanist blogger. African optimist